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Prix de l’eau : comment facturer un bien commun ?

L’eau, ressource naturelle indispensable à la vie, est un bien commun. Elle n’a pas de prix. Les services rendus aux utilisateurs – le prélèvement de l’eau brute dans les milieux aquatiques, le traitement pour la rendre potable, la distribution à domicile, l’épuration après usage, etc. – ont cependant un coût, facturé à l’usager.

Le prix du service de l’eau potable et de l’assainissement

Le prix de l’eau est fixé par la collectivité organisatrice (commune ou intercommunalité), responsable des services publics d’eau et d’assainissement sur son territoire. La tarification des services d’eau repose sur deux principes fondamentaux :

  • « l’eau paie l’eau » : les services de l’eau sont facturés à l’usager afin de couvrir les coûts de distribution de l’eau potable et d’assainissement des eaux usées. Chaque collectivité a l’obligation d’équilibrer ses dépenses pour les services d’eau à travers les recettes perçues via la facture d’eau ;
  • le principe « pollueur-payeur » : inscrit dans le code de l’environnement, ce principe juridique et économique, selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur« , est mis en œuvre au travers de taxes et de redevances sur les activités et les usages susceptibles de générer une pollution des milieux aquatiques.

En 2022, selon le rapport 2024 de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, le prix moyen, toutes taxes comprises (TTC), des services de l’eau s’élève à 4,52 euros le mètre cube (2,21 €/m3 pour la part de l’eau potable et 2,31 €/m3 pour l’assainissement collectif) pour une consommation annuelle de 120 m3 par ménage. Cela correspond pour l’usager à une facture de 542,40 euros par an. Les usagers qui ont recours à l’assainissement individuel paient eux aussi une part portant sur l’assainissement, liée aux coûts du service public d’assainissement non collectif.

Le prix de l’eau varie selon les territoires

Selon l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, le prix moyen, qui comprend le prix de l’eau potable et celui de l’assainissement, varie fortement selon les territoires. 

En 2022, 80% de la population bénéficie d’un prix de l’eau potable compris entre 1,67 euros par m3 et 2,83 euros par m3 et d’un prix de l’assainissement collectif compris entre 1,49 euros par m3 et 3,22 euros par m3. En moyenne, la part fixe (l’abonnement) représente 17% de la facture d’eau potable et 8% de la facture d’assainissement collectif.

La variabilité du prix des services de l’eau selon les territoires dépend de multiples facteurs liés pour l’essentiel au contexte local, principalement la qualité et la proximité de la ressource en eau, la vétusté et la taille des équipements, la densité de la population, ainsi que les charges financières des communes (remboursements d’emprunts, amortissements, etc.).

La taille des services en nombre d’habitants desservis est un facteur déterminant de variation du prix. Ce sont les collectivités de taille intermédiaire (entre 1 000 et 50 000 habitants) qui proposent en moyenne les tarifs les plus élevés (entre 4,88 et 4,95 €/m3). 

Le prix moyen total de l’eau est en général plus élevé au nord d’une diagonale allant du sud-ouest au nord-est. En France métropolitaine, la Bretagne (5,04 €/m3) et les Hauts-de-France (5,01 €/m3) présentent les prix moyens les plus élevés. À l’opposé, la Provence-Alpes-Côte-D’Azur (3,91 €/m3), l’Occitanie et le Grand-Est (4,12 €/m3) sont les régions où les prix moyens sont les plus faibles. Outre-mer, les écarts sont encore plus importants avec un prix moyen très élevé en Martinique (5,85 €/m3) et en Guadeloupe (5,36 €/m3), tandis que la Réunion affiche le prix moyen le plus faible (2,93 €/m3). 

Les taxes et redevances

Le calcul du prix des services de l’eau intègre différentes taxes et redevances.

En 2022, leur part représente 21% du total de la facture de l’eau. Cette part comprend les redevances perçues par les agences de l’eau, la taxe versée le cas échéant à Voies navigables de France (lorsque l’eau est prélevée dans les cours d’eau) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) reversée à l’État.

Les recettes fiscales perçues par les agences de l’eau (selon le principe pollueur-payeur) sont redistribuées sous forme de subventions ou d’avances remboursables aux acteurs qui interviennent dans la préservation et la restauration de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques.

En 2022, par catégorie d’usagers, la part des redevances payées par les ménages pour le financement des services publics d’eau et d’assainissement est de 83% (le reste se répartit entre industriels 7% et agriculteurs 10%).

L’accès à l’eau pour tous

Des difficultés d’accès à l’eau pour les ménages précaires

La facture annuelle des services d’eau et d’assainissement représente, au niveau national, environ 2% du budget des ménages. Mais, pour certains ménages précaires, son poids est bien plus important. 

Bien que les charges d’eau restent relativement peu élevées en France en comparaison avec d’autres biens essentiels (électricité ou alimentation), elles sont supérieures à 3% des revenus pour plus d’un million de foyers. Par convention, ce seuil est utilisé pour identifier les populations précaires confrontées à des difficultés d’accès à l’eau.

Plusieurs textes législatifs et réglementaires prennent en compte les difficultés de paiement de certaines populations défavorisées et le droit d’accès à l’eau, notamment :

  • la loi relative au revenu minimum d’insertion de 1988, prévoyait dans le cadre d’un dispositif d’urgence l’aide à la prise en charge des impayés de facture d’eau ;
  • la loi du 29 juillet 1992 a reconnu aux personnes défavorisées, le droit de bénéficier de l’aide de la collectivité pour leur permettre de continuer à avoir accès à une consommation d’énergie et d’eau ;
  • la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 (« loi LEMA ») pose le principe du droit d’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables, par toute personne physique. Elle permet notamment afin de faciliter l’accès à l’eau potable de mettre en place une tarification progressive ou d’introduire un plafonnement de la part fixe de la facture.

L’interdiction des coupures d’eau et du « lentillage »

L’article 19 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, dite « loi Brottes », interdit les coupures d’eau en toute circonstance et tout au long de l’année dans une résidence principale.
Les distributeurs n’ont pas le droit non plus de réduire l’eau d’un foyer, même en cas de non-paiement des loyers (pratique du « lentillage » qui consiste à réduire le débit de l’eau au niveau des robinets). Le décret du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau interdit cette pratique, l’usager ne pouvant satisfaire à ses besoins fondamentaux avec un faible débit. Un arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2018 a confirmé l’illégalité de la réduction de débit d’eau.

Tarification sociale de l’eau et systèmes d’aide

Afin de favoriser l’accès à l’eau et de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau, la loi Brottes a également introduit la possibilité pour les collectivités volontaires d’expérimenter pour une durée de cinq ans de nouvelles tarifications de l’eau et/ou de l’assainissement ainsi que différents systèmes d’aide au paiement de la facture d’eau. L’expérimentation qui devait prend fin le 15 avril 2018 a finalement été prolongée jusqu’au 15 avril 2021. 50 collectivités ont été retenues.

Des rapports d’évaluation de l’expérimentation ont été rédigés chaque année depuis 2016 par le Comité national de l’eau (CNE). 

Différents dispositifs d’aide sociaux préventif (approche qui consiste à prévenir les impayés) et curatif (approche qui consiste à aider les personnes en situation d’impayé) ont été testés :

  • faciliter le paiement de la facture à travers la mise en place d’une tarification sociale de l’eau, c’est-à-dire en intégrant le facteur social dans le calcul du prix du service pour les personnes ciblées (tarification spécifique, modulation de certains postes : part fixe ou part variable ou de certaines tranches de volume d’eau consommé : tarification progressive) ;
  • allouer une aide financière pour le règlement de la facture établie sur le tarif commun à l’ensemble de la population (aide forfaitaire ou modulable au cas par cas), ce type d’aide pouvant par exemple être reçue sous la forme d’un chèque eau ou d’une allocation versée directement sur le compte en banque du bénéficiaire ;
  • abonder financièrement le Fonds de solidarité pour le logement afin de contribuer au financement des aides liées au paiement des factures d’eau. Dans le cadre de l’expérimentation, le plafond de cette subvention a été rehaussé jusqu’à un montant maximal de 2% du budget hors taxe des services publics d’eau et d’assainissement. Cette disposition a ensuite été généralisée par la loi dite « engagement et proximité » ;
  • apporter une aide au paiement des impayés de facture d’eau (prise en charge des impayés ou des charges incluant l’eau, etc.). 

Compte tenu de la diversité des territoires, des dispositifs et de l’état d’avancement des projets, une évaluation globale de l’expérimentation à l’échelle nationale reste relativement difficile. Le Gouvernement a finalement fait le choix de donner la possibilité à toutes les collectivités de mettre en œuvre la tarification sociale et les mesures en faveur de l’accès à l’eau plutôt que d’opter pour la généralisation d’une mesure en particulier.

Le Plan eau : la tarification progressive de l’eau

Le 30 mars 2023, le président de la République a annoncé, dans le cadre du Plan eau, la généralisation du dispositif de tarification progressive et responsable de l’eau, expérimenté dans certaines villes. L’objectif est d’assurer un accès à une eau potable de qualité pour l’ensemble de la population mais aussi d’inciter à la sobriété des usages de l’eau.

La progressivité entraîne la création de plusieurs tarifs en fonction de la consommation des ménages :

  • les premiers mètres cubes consommés sont facturés à un prix modeste, proches du prix coûtant ;
  • un tarif plus élevé du mètre cube au-delà d’une certaine consommation (consommations dites de confort). 

La communauté urbaine de Dunkerque fait figure de pionnière en matière de tarification progressive de l’eau, puisqu’elle a adopté ce principe depuis 2012. En 2023, la politique tarifaire dunkerquoise est la suivante : 1,28 euro par m3 pour une consommation comprise entre 0 et 80 m3 (« l’eau essentielle »), puis 2,30 euros entre 81 et 200 m3 (« l’eau utile ») et enfin 3,10 euros par m3 au-delà de 201 m3 (« l’eau de confort »). Pour la première tranche, une tarification sociale a également été introduite pour les foyers bénéficiant de la complémentaire santé solidaire : son prix est fixé à 0,49 euro par m3.

Un rapport du Conseil économique, social  et environnemental (CESE) de novembre 2023 souligne cependant le faible nombre de services publics d’eau et d’assainissement qui ont adopté la tarification à plusieurs tranches. Pour le CESE, les conditions d’une généralisation de la tarification progressive ne sont pas réunies en raison de la complexité de sa mise en oeuvre (prise en compte de la taille du ménage, difficultés d’accès aux données, tous les immeubles ne sont équipés de compteurs d’eau individuels…). En outre, les résultats sur la consommation d’eau sont mitigés. La tarification progressive de l’eau n’a pas forcément entrainé une baisse de la consommation. Le consommateur ne perçoit pas clairement la baisse du prix étant donné le poids de l’abonnement et des taxes dans la facture d’eau.

Pour le Conseil, l’enjeu n’est pas la tarification. La nécessaire modernisation des réseaux pour limiter les fuites et les coûts croissants de traitement de l’eau pour faire face aux rejets polluants vont mettre fin, à court et moyen terme, à une eau bon marché.

Source : Vie publique, mis à jour le 20 août 2024

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