Des médias réputés publient des contenus présentés sous forme d’article, sans indiquer leur nature marchande. Du flirt avec la publicité trompeuse…
En septembre 2023, un nouvel assureur, Zebrance, fait l’objet d’articles enthousiastes : « Une assurance qui fait la différence » (La Tribune). « L’assurance en ligne qui vous fait gagner du temps et de l’argent » (Le Dauphiné). « Zoom sur l’assurance auto qui révolutionne le secteur » (Le Point)…
Un mois plus tard, alerté par un lecteur qui a souscrit un contrat, 60 Millions révèle que cette société exerce sans agrément et ne couvre donc pas les assurés. Comment ce faux assureur a-t-il ainsi pu faire parler de lui dans ces médias pourtant sérieux ? Zebrance a, en réalité, « acheté » ces articles.
Reportages, interviews et portraits contre rémunération
Face aux informations publiées par 60 Millions, et confirmées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), gendarme du secteur de l’assurance, le groupe qui détient Zebrance a financé une nouvelle tribune, début février, sur le site du Point. Objectif : sauver la réputation de ses autres filiales sous le couvert d’information.
Car oui, on peut ainsi obtenir contre rémunération des reportages, des interviews, des portraits publiés dans les titres le plus prestigieux. Sans que l’aspect marchand apparaisse très clairement, et c’est bien là le problème. Le Point met ainsi en ligne très régulièrement des « articles » qui sont en réalité des publicités.
Le chef Gauthier Sico, à Uzès, revendique une cuisine authentique dans une interview qui, elle, n’est pas vraiment marquée par son authenticité puisque financée par ledit chef via une régie, Media-Start. Celle-ci propose aussi des « articles » sur les sites du Figaro, de Challenges ou des Échos.
Lord of CBD, un réseau de boutiques, ne tarit pas d’éloges sur les effets d’un « reportage » à sa gloire paru sur le site du Point. « Le journaliste a su parfaitement transcrire notre état d’esprit et notre vision du business. Merci à lui », se félicite le directeur de Lord of CBD sur le site de Media-Start.
De 50 à 3000 € pour apparaître sur un site
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Media-Start a financé un article d’autopromotion paru dans Le Point, évidemment : « Le Point est notre partenaire et, vous [l’annonceur, NDLR], vous êtes le nôtre. C’est très simple. C’est très efficace. Et ce n’est pas très coûteux. » Les sommes à investir pour décrocher un « article » diffèrent en fonction des médias visés et des options choisies. Mais on peut l’obtenir dans un délai de 7 à 15 jours. Contacté, Le Point n’a pas donné suite à nos questions.
Faire sa promotion dans un média en ligne sans que cela soit clairement de la publicité ne coûte, en effet, pas si cher, selon la régie Ereferer, qui est un autre intermédiaire avec des grands médias. Un « article » coûtera de 50 € – pour une publication dans un blog peu connu – à plus de 3 000 € – dans un média de premier plan. Compter 685 € pour apparaître sur le site Futura-Sciences, 495 € pour CNews (auxquels il faut rajouter 514 € si on souhaite le faire rédiger directement par la régie) ou encore 450 € pour la version en ligne de La Voix du Nord.
La même apparence qu’un article
Ereferer prévient cependant son client : il est possible que son article soit refusé car « trop commercial », même si la plateforme se targue que son taux de publication approche les 90 %. Tous ces « articles », on les retrouve ensuite confondus avec les vrais articles de la rédaction. Ils en ont la même apparence, tout semble être fait pour prêter à confusion. Seuls quelques indices montrent qu’ils sont sponsorisés.
Multiplier ce type de publication permet de faire ressortir une marque dans les premières places quand on tape son nom sur Google. La limite délibérément floue entre information et commerce dans les médias, notamment en ligne, ne date pas d’hier, mais elle prend de l’ampleur dans ce secteur qui traverse de grandes difficultés économiques. Et le contenu d’un vrai-faux article peut aller très loin.
Pleins feux sur une lampe défectueuse
En 2017, Yves avait été intrigué par un sujet paru dans la rubrique actualités du moteur de recherche Yahoo, intitulé « Cette lampe torche en vente libre fait polémique ». Elle serait « trop lumineuse pour une utilisation en public ». Le produit serait, selon cet article, difficile à trouver en France. Yves est conquis, il achète le produit « 29 € au lieu de 100 € ». À la livraison, la lampe ne fonctionne pas. Pris d’un doute, il décide de saisir le Jury de déontologie publicitaire, une instance associée de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).
Dans son enquête, cette instance constate que des « articles » similaires ont été publiés sur les sites d’Eurosport, Elle, Le Point et L’Équipe. L’info est à chaque fois une publicité ayant revêtu une apparence éditoriale. Le contenu publié par Yahoo comporte la mention « Sponsorisé », mais en taille minuscule, placée au milieu des encarts publicitaires. « Cela ne permet pas d’identifier clairement leur caractère publicitaire », constate l’ARPP. Derrière ces publications, on trouve Taboola, une régie publicitaire.
Louanges mais pas uniquement
Alertée, la Répression des fraudes enquête à son tour. Fin 2023, elle publie des conclusions accablantes : personne ne vérifie la loyauté de publications diffusées sur les sites de 20 Minutes, La Dépêche, La Voix du Nord, Ouest-France ou du Figaro. Leur apparence est trompeuse car elle imite la mise en page de ces titres. Ces « articles » sont également condamnables sur le fond. Certains vont jusqu’à discréditer des conseils médicaux lorsqu’ils vantent la supériorité d’un traitement. Taboola accepte de verser 650 000 € pour mettre fin aux poursuites.
Une autre agence de contenus, Getfluence, se présente, elle aussi, comme un intermédiaire entre annonceurs et médias : elle « place » des publireportages. Le client crée un compte puis a accès à une liste de sites partenaires. Il existait même une option facturée plus cher : la publication d’un article sans qu’apparaisse la mention « Sponsorisé », comme l’ont révélé la cellule investigation de Radio France et le consortium Forbidden Stories.
Redorer le blason de Linky
Julien a travaillé durant plusieurs années dans la presse comme journaliste pigiste. Pour des raisons alimentaires, il a collaboré avec l’agence Avisa Partners. « En 2016, on m’a demandé à plusieurs reprises de discréditer le CIRC [Centre international de recherche sur le cancer, NDLR] », a-t-il révélé dans le journal Fakir. Le CIRC venait alors de classer le fameux glyphosate comme cancérigène probable. Julien est payé pour relativiser sa dangerosité en écrivant que le café ou le saucisson ont été classés dans la même catégorie.
Autre mission : redorer le blason du compteur Linky en montrant « qu’il n’émettait pas d’ondes nocives, qu’il n’y aurait pas de surcoût pour le consommateur, qu’il n’y avait pas de surveillance organisée, etc. »
Sur Internet, mais aussi à la télévision
Matthieu Creux, l’un des dirigeants d’Avisa Partners, a eu l’occasion de s’expliquer en mars 2023 devant une commission d’enquête parlementaire consacrée à Uber, un autre de ses clients. « Il s’agit de produire du contenu et d’obtenir sa publication […] La qualité et la véracité de l’ensemble des éléments publiés n’ont jamais été remises en cause. Les médias qui ont choisi de publier ces éléments l’ont fait en toute liberté, en toute responsabilité aussi, et ils n’ont jamais fait l’objet, à ma connaissance, de la moindre demande de droit de réponse. »
Les contenus payés sans la mention explicite « Publicité », cela existe également à la télévision. « Certains programmes sont facturés, comme “Action & Réussite”, sur BFM Paris Île-de-France, ou “Focus Entreprises” sur BFM Business, ou encore “Parlons Business”, diffusé notamment sur cnews.fr », confie Élodie Laloum, responsable de l’agence de relations presse Melodik, régulièrement démarchée pour ce genre de prestation. Interrogé, BFM n’a pas donné suite.
Parfois une simple maladresse
En mars 2023, le média en ligne Konbini a publié un article « On a testé (presque) tous les plats Picard et on vous dit lesquels choisir pour vos prochains dîners romantiques », vantant plusieurs plats préparés du spécialiste du surgelé. Et un deuxième, « On a testé la babka Picard (parce que même eux s’y sont mis) ». Encore une pub qui ne dit pas son nom ?
Pas cette fois : Picard a assuré au Jury de déontologie publicitaire n’avoir pas participé financièrement à ces articles, ce que confirme Konbini. C’était juste une idée du journaliste, qui a écrit cet article « après avoir acheté un plat Picard et après une discussion entre collègues ». Une nouvelle preuve qu’il faut absolument faire respecter les règles de transparence en vigueur, seul moyen de sortir de la vaste confusion actuelle dont sont victimes les consommateurs de médias.
Un contenu qui doit être clairement identifiable
Plusieurs textes imposent la transparence.
- Dans la presse, l’article 10-2 de la loi n° 86-897 prévoit que « tout article de publicité à présentation rédactionnelle doit être précédé de la mention “Publicité” ou “Communiqué” ».
- Pour les publications en ligne, l’article 20 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique indique que « toute publicité (…) doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ».
- Dans l’audiovisuel, l’article 9 du décret du 27 mars 1992 interdit « la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque (…) dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire ».
Source : 60 millions de consommateurs, publié le 21 mai 2024